Violences faites aux femmes : la France peut-elle combler son retard avec la loi-cadre en préparation ?

Une loi-cadre sur les violences faites aux femmes devrait être présentée fin novembre au Premier ministre Sébastien Lecornu. Les associations féministes espèrent qu’elle marquera enfin un tournant structurel, sur le modèle de l’Espagne.

Près d’un an après la proposition de 140 mesures formulée par une coalition d’associations féministes, la France s’apprête à franchir une étape décisive. La ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé, a annoncé mardi 28 octobre que le texte serait soumis au Premier ministre fin novembre, après consultation des groupes parlementaires.
« Ce sont des sujets sur lesquels on peut s’entendre », a-t-elle déclaré sur France Info, alors que les débats budgétaires paralysent l’Assemblée nationale.

Un retard français devenu structurel

Malgré la prise de conscience impulsée par le mouvement #MeToo depuis 2017, la France tarde à bâtir une politique cohérente et pérenne contre les violences sexistes et sexuelles (VSS). Les associations féministes dénoncent depuis des années une réponse institutionnelle morcelée, dispersée entre plusieurs ministères – Intérieur, Justice, Santé, Éducation et Égalité – sans pilotage national unifié.

Les mesures issues du Grenelle des violences conjugales de 2019 ont certes permis quelques avancées, mais leur application demeure inégale selon les territoires, faute de moyens et de coordination. « La politique actuelle se limite souvent à des réponses d’urgence, sans vision d’ensemble », déplorent les collectifs féministes.

Des avancées législatives, mais encore fragmentées

Ces dernières années, plusieurs réformes majeures ont été adoptées. En 2024, le Code pénal a intégré la notion de contrôle coercitif, reconnaissant les violences psychologiques, économiques ou d’isolement comme des formes de domination. La même année, la notion de consentement a été inscrite dans la définition du viol : l’absence de consentement suffit désormais à caractériser le crime, sans qu’il soit nécessaire de prouver contrainte ou menace.

Des progrès salués, mais jugés insuffisants. « Ces avancées restent ponctuelles et dépendantes des arbitrages politiques de chaque gouvernement », estiment les associations, qui réclament désormais un cadre global et contraignant garantissant la continuité des politiques publiques.

L’exemple espagnol, une référence européenne

L’Espagne, souvent citée comme modèle, a adopté dès 2004 une loi organique de protection intégrale contre la violence de genre, qui demeure aujourd’hui une référence en Europe. Ce texte pionnier combine prévention, accompagnement des victimes, formation des professionnels et coordination interministérielle.

Vingt ans après son adoption, les résultats sont tangibles : selon le Centre Hubertine Auclert, le nombre de féminicides conjugaux a diminué de 25 % en Espagne depuis 2004. Le pays consacre environ 16 euros par habitant à la lutte contre les violences faites aux femmes, contre 5 euros en France.

« En Espagne, cela fait plus de vingt ans que la lutte contre les violences conjugales est une réelle priorité d’État. Pourquoi ne met-on pas les mêmes moyens ici ? », interrogeait déjà Marie-Pierre Badré, ancienne présidente du Centre Hubertine Auclert.

En 2024, 118 femmes ont été tuées en France par leur compagnon ou ex-compagnon, contre 48 en Espagne, selon les chiffres officiels.

Des politiques européennes plus cohérentes

D’autres pays ont également structuré leurs politiques de manière durable. En Italie, le Code rouge adopté en 2019 accélère le traitement judiciaire des affaires de violences domestiques et impose des formations spécifiques aux forces de l’ordre.
Au Portugal, la lutte contre les violences de genre est coordonnée depuis plus de vingt ans par la Commission pour la citoyenneté et l’égalité de genre (CIG), avec des plans nationaux pluriannuels assortis d’objectifs mesurables, de formations obligatoires et de campagnes d’éducation à l’égalité dès le primaire.

Les pays nordiques se distinguent également par des stratégies nationales transpartisanes et évaluées en continu, garantissant la stabilité des politiques publiques sur plusieurs décennies.

Un tournant attendu pour la France

En évoquant une loi-cadre intégrale, Aurore Bergé s’inscrit donc dans la lignée du modèle espagnol. Ce texte, s’il aboutit, pourrait permettre à la France de rompre avec la logique des plans d’action éphémères pour instaurer une véritable politique d’État.

Les associations féministes plaident pour un pilotage national unifié, la pérennisation du financement des structures d’accueil, la formation obligatoire des personnels de police, d’éducation et de santé, ainsi qu’un budget à la hauteur des enjeux.

La présentation du projet au Premier ministre, prévue fin novembre, sera un test de la volonté politique du gouvernement.
Vingt ans après l’Espagne, la France peut-elle enfin transformer la lutte contre les violences faites aux femmes en politique publique durable ?

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