Du “fluide impur” à un espoir contre l’endométriose : une collecte inédite de sang menstruel démarre en France
Longtemps considéré comme un simple déchet, le sang menstruel pourrait devenir un outil majeur pour la recherche sur la santé des femmes. À Paris, l’Institut Cochin lance une étude d’ampleur inédite visant à analyser ce fluide pour mieux comprendre l’endométriose, accélérer son diagnostic et ouvrir de nouvelles pistes thérapeutiques.
Une collecte unique en France
Dans le cadre d’un financement du Conseil européen de la recherche (ERC), les équipes de l’Institut Cochin recherchent actuellement plusieurs centaines de volontaires atteintes d’endométriose. Après un entretien, les participantes repartent avec un kit composé d’une cup menstruelle et de flacons. Elles doivent la porter quatre heures afin de recueillir un échantillon, récupéré ensuite par un transporteur spécialisé.
L’objectif : comparer les saignements menstruels de patientes atteintes d’endométriose à ceux de femmes non touchées. « Curieusement, ces fluides ont été très peu étudiés alors qu’ils contiennent à la fois des cellules de l’endomètre et des cellules immunitaires intra-utérines impliquées dans la maladie », explique Ludivine Doridot, responsable du projet à l’Institut Cochin et enseignante à l’Université Paris Cité.
Les chercheurs espèrent identifier des marqueurs permettant de diagnostiquer la maladie, d’en anticiper l’évolution et, à terme, de proposer des traitements personnalisés. « À moyen terme, l’objectif est d’isoler des marqueurs fiables, puis de lancer une étude nationale pour valider leur utilité », détaille la chercheuse sur France 3.
Une maladie encore trop méconnue
L’endométriose se caractérise par la présence, en dehors de l’utérus, de tissus semblables à l’endomètre. Sous l’effet des cycles hormonaux, ces tissus s’enflamment et génèrent lésions, douleurs pelviennes, troubles digestifs, fatigue chronique ou encore infertilité — qui touche près de 40 % des patientes.
Le diagnostic reste long et complexe : sept ans en moyenne avant d’être posé, puis jusqu’à un an d’attente pour accéder à un centre expert. Malgré la prévalence de la maladie (près d’une femme sur dix), elle demeure encore insuffisamment étudiée.
La recherche s’accélère toutefois. La création de la Fondation pour la recherche sur l’endométriose (FRE) en 2021 a permis de financer les premières études en France. Le projet de Ludivine Doridot marque une nouvelle étape, porté par un financement européen de 1,4 million d’euros sur cinq ans.
Lever le tabou du sang menstruel
Si le sang menstruel a été si peu étudié, c’est aussi en raison des nombreux tabous qui l’entourent. Associé depuis l’Antiquité à l’impureté, stigmatisé par des croyances et superstitions persistantes, il est encore perçu comme un fluide “impropre” dans de nombreuses cultures.
Pourtant, il contient certaines protéines absentes du sang veineux ainsi que des cellules souches régénératrices. Des travaux australiens ont montré que son plasma favorisait une cicatrisation plus rapide, et des recherches menées par l’immunologiste Ping Shen ont démontré son potentiel thérapeutique sur des modèles animaux atteints de sclérose en plaques.
Un potentiel immense pour la médecine
Alors que 1,9 milliard de personnes ont leurs règles dans le monde, le potentiel scientifique de ce fluide suscite un intérêt croissant. Aux États-Unis, la start-up Qvin développe une serviette hygiénique intégrant une bandelette de prélèvement pour dépister le cancer du col de l’utérus, particulièrement utile dans les régions où l’examen gynécologique est difficile d’accès.
En Suisse, la jeune pousse Red Drop Lab propose un kit de prélèvement à domicile, destiné notamment au dépistage de l’endométriose et de certains cancers féminins. À l’ETH Zurich, des chercheurs travaillent sur une serviette connectée capable d’identifier des biomarqueurs grâce à l’intelligence artificielle.
« Ce sujet est longtemps resté relégué au domaine du privé, alors qu’il représente des millions de litres de fluide chaque mois », rappelle Aurélie Bon, fondatrice de Red Drop Lab.
Une nouvelle voie pour la santé des femmes
Grâce à l’émergence de nouvelles recherches et à l’investissement de nombreuses femmes scientifiques, le sang menstruel pourrait devenir un outil central pour comprendre, diagnostiquer et traiter des pathologies jusqu’ici sous-explorées. L’étude menée à l’Institut Cochin marque un tournant dans un domaine longtemps délaissé, en offrant l’espoir d’améliorer la prise en charge de millions de patientes.



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