Accord UE-Mercosur : une semaine décisive sur fond de bras de fer entre Paris et Bruxelles
Le traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur s’apprête à franchir une étape cruciale. Alors que la Commission européenne veut finaliser l’accord d’ici la fin de la semaine lors d’un sommet au Brésil, la France tente une nouvelle fois d’en retarder l’adoption, dans un contexte de forte tension agricole et de divergences politiques profondes au sein de l’UE.
Négocié depuis plus de vingt-cinq ans entre Bruxelles et l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, l’accord vise à faciliter les exportations européennes de voitures, de machines, de vins et de spiritueux. En contrepartie, il ouvrirait davantage le marché européen à des produits agricoles sud-américains comme la viande bovine, le sucre, le riz, le miel ou le soja, suscitant l’inquiétude des filières agricoles européennes.
Paris veut gagner du temps
Un Conseil européen est prévu jeudi 18 et vendredi 19 décembre à Bruxelles, au cours duquel les États membres doivent se prononcer sur l’accord. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, espère obtenir l’aval des Vingt-Sept afin de signer le traité samedi 20 décembre lors du sommet du Mercosur à Foz do Iguaçu, au Brésil.
Mais la France a officiellement demandé un report du vote. « À ce stade, le compte n’y est pas pour protéger les agriculteurs français », a fait savoir l’Élysée, estimant que ses exigences n’ont pas été satisfaites. Paris réclame notamment des clauses de sauvegarde renforcées pour éviter toute perturbation des marchés agricoles, des « mesures-miroir » garantissant le respect des normes environnementales européennes par les produits importés, ainsi qu’un durcissement des contrôles sanitaires.
« En l’état, c’est non », a confirmé la ministre française de l’Agriculture, Annie Genevard, affirmant que l’accord n’était « pas acceptable » sans avancées supplémentaires.
La France tente de rallier d’autres États membres à sa position. La Pologne, la Hongrie, l’Autriche et l’Irlande la soutiennent déjà, tandis que l’Italie pourrait les rejoindre. Selon Reuters, Emmanuel Macron et la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni se seraient accordés sur la nécessité d’un report.
Une crise agricole explosive
Cette opposition française s’inscrit dans un contexte social tendu. Les syndicats agricoles dénoncent depuis longtemps l’accord UE-Mercosur, mais leur mobilisation s’est intensifiée ces dernières semaines avec la propagation de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), qui a entraîné l’abattage de milliers de bovins.
Blocages routiers, occupations de ronds-points et actions coup de poing se multiplient. Dans ce climat, un feu vert donné à l’accord risquerait d’attiser la colère du monde agricole, en France comme ailleurs en Europe. Les syndicats agricoles européens appellent d’ailleurs à une grande manifestation jeudi à Bruxelles, avec l’arrivée annoncée de 10 000 agriculteurs.
Bruxelles déterminée à conclure
Face à ces résistances, la Commission européenne affiche sa détermination. « L’accord est d’une importance capitale pour l’Union européenne, sur les plans économique, diplomatique et géopolitique », a déclaré son porte-parole Olof Gill, rappelant l’objectif de conclure avant la fin de l’année.
L’Allemagne, l’Espagne et plusieurs pays nordiques soutiennent l’accord, qu’ils considèrent comme un levier pour relancer l’économie européenne face à la concurrence chinoise et aux barrières commerciales américaines.
Pour être adopté, le traité doit recueillir une majorité qualifiée : au moins 20 États membres représentant 65 % de la population de l’UE. À l’inverse, une minorité de blocage nécessite au moins quatre États représentant 35 % de la population.
Afin de convaincre les réticents, la Commission a proposé une clause de sauvegarde activable en cas de chute significative des prix ou de hausse rapide des importations agricoles en provenance du Mercosur. Elle a également annoncé un renforcement des contrôles sur les importations et une mise à jour des règles sur les résidus de pesticides.
Le rôle clé du Parlement européen
Autre étape déterminante : le Parlement européen doit se prononcer mardi 16 décembre sur le renforcement des mesures de sauvegarde. Des amendements ont déjà été adoptés en commission, et un vote favorable en séance plénière pourrait modifier le texte.
« Les réponses de la Commission restent insuffisantes, mais nous avons amélioré la clause de sauvegarde », estime l’eurodéputé Renew Jérémy Decerle. Une modification entraînerait toutefois de nouvelles négociations entre le Parlement et le Conseil, puis avec les pays du Mercosur, retardant encore la signature.
Même en cas de signature par Ursula von der Leyen au Brésil, le processus serait loin d’être terminé. L’accord devra encore être ratifié définitivement par le Parlement européen, probablement début 2026, lors d’un vote qui s’annonce serré.
La semaine qui s’ouvre s’annonce donc décisive pour l’avenir de l’accord UE-Mercosur, au cœur d’un affrontement politique entre impératifs économiques, enjeux géopolitiques et pressions sociales.



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