Budget 2026 : entre “surenchère fiscale” et demandes de la gauche, Sébastien Lecornu sur un fil

Après l’adoption à l’Assemblée de nouvelles taxes ciblant les grandes entreprises, le gouvernement dénonce une “surenchère fiscale”. Le Premier ministre Sébastien Lecornu tente de préserver un équilibre fragile entre discipline budgétaire et attentes de “justice fiscale” portées par la gauche.


Des taxes votées contre l’avis du gouvernement

Le débat budgétaire s’envenime à l’Assemblée nationale. Après l’adoption mardi d’un “impôt universel” sur les multinationales, soutenu par une alliance inédite entre la gauche et le Rassemblement national, le gouvernement dénonce une dérive vers une “surenchère fiscale”.

« La justice fiscale a laissé place à la surenchère fiscale », a mis en garde le ministre de l’Économie Roland Lescure, mercredi 29 octobre. Devant le Sénat, le Premier ministre Sébastien Lecornu a lui alerté sur un risque de déconnexion entre le débat fiscal et la “réalité économique”.

La mesure, qui vise à taxer les bénéfices des multinationales proportionnellement à leur activité réalisée en France, est défendue par ses auteurs comme un outil contre l’évasion et l’optimisation fiscales. Ses promoteurs estiment qu’elle pourrait rapporter 26 milliards d’euros à l’État.

Mais pour Roland Lescure, l’idée est “inopérante et inapplicable”, en raison notamment des 125 conventions fiscales bilatérales signées par la France.


Le RN assume, la droite dénonce une “folie fiscale”

Pointée du doigt pour avoir soutenu la gauche, Marine Le Pen s’est défendue mercredi devant l’Association des journalistes parlementaires :
« Il ne s’agit pas de taxer, mais de faire respecter la loi, l’éthique et la morale », a-t-elle plaidé, estimant que “ce qui a été voté n’est pas honteux, contrairement aux hurlements du gouvernement”.

Du côté de la droite, les critiques fusent. Le président des Républicains Bruno Retailleau parle de “folie fiscale”, tandis que Marc Fesneau (MoDem) estime que le texte “devient totalement invotable”.

Un cadre Renaissance relativise toutefois, sous couvert d’anonymat : la mesure n’est “pas un motif de rejet à ce stade”, justement parce qu’elle est “inapplicable”.


Le doublement de la taxe Gafam adopté

Autre vote marquant : le doublement de la taxe Gafam, de 3 % à 6 %, adopté avec le soutien du bloc central malgré les réserves du gouvernement, inquiet d’éventuelles représailles commerciales américaines.

En parallèle, la majorité assume une hausse de deux milliards d’euros de la surtaxe sur les bénéfices des grandes entreprises, justifiant cette mesure par la nécessité de financer des amendements adoptés à droite, notamment la défiscalisation totale des heures supplémentaires et la suppression du gel du barème de l’impôt sur le revenu.

Mais pour Bruno Retailleau, ces ajouts rendent le budget “encore moins votable qu’hier”. Il dénonce “le coût exorbitant de la stabilité politique”.


Le gouvernement tente de relativiser

Face à cette succession d’amendements explosifs, la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a cherché à temporiser à l’issue du Conseil des ministres :
« Nous ne sommes qu’au tout début du processus parlementaire. Les votes qui ont déjà eu lieu ne sont pas la copie finale », a-t-elle rappelé.

Selon plusieurs sources au sein de la coalition présidentielle, le scénario d’un budget rejeté n’est plus exclu. Le gouvernement pourrait alors recourir à une “loi spéciale”, lui permettant de prolonger en 2026 les recettes et dépenses de 2025, voire adopter le texte par ordonnances, si les délais parlementaires sont dépassés.


Une issue incertaine autour de la “taxe Zucman”

Les débats devraient se poursuivre vendredi ou lundi avec un nouveau sujet explosif : la taxe Zucman, qui prévoit un impôt minimum sur les très grandes fortunes.
Dans sa version initiale, la mesure vise les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros à hauteur de 2 % ; une version amendée prévoit 3 % à partir de 10 millions, tout en excluant les entreprises innovantes et familiales.

Mais face à l’opposition du bloc central, de la droite et du RN, son adoption semble peu probable. Un amendement de compromis pourrait être proposé par le gouvernement pour apaiser les tensions.
« Il y a encore du travail », a reconnu Maud Bregeon.


Un équilibre politique précaire

À mesure que les amendements s’accumulent, le “chemin de crête” de Sébastien Lecornu se fait plus étroit. Pris entre les revendications de la gauche sur la justice fiscale et la crainte d’une dérive taxatoire exprimée par la majorité et les entreprises, le Premier ministre tente de préserver la cohérence d’un budget déjà fragilisé.

Reste à savoir si ce délicat exercice d’équilibriste permettra d’éviter une nouvelle crise budgétaire — et politique.

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